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She wore blue velvet
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24 mai 2013

"Les tendres plaintes", de Yoko Ogawa

Toujours portée par mon envie -qui s'est imposée comme un besoin désormais- de renouer avec la littérature japonaise, c'est vers Yoko Ogawa que j'ai choisi de me tourner. Cette auteure, dont j'ai lu plusieurs romans avec un plaisir jamais démenti, compte pour moi parmi les plus belles plumes féminines contemporaines. J'aime son univers singulier devenu familier, où se mêlent tendresse, nostalgie mais aussi étrangeté : elle peut, avec la même virtuosité (économie et maîtrise des mots), nous faire sourire puis frémir, nous transporter au coeur des sentiments humains les plus purs, les plus doux puis nous mettre à mal, face à une situation dont on aurait préféré ne jamais rien savoir.

Même si Les tendres plaintes, publié en 1996, est son premier roman, le style ciselé et l'imaginaire de Yoko Ogawa apparaissent d'ors et déjà d'une précision remarquable. Dès le début de sa carrière, l'auteure semble avoir un monde à offrir, un regard affûté et une langue bien à elle pour dire ces motifs qui la fascinent.

Les tendres plaintes

Roman à la première personne, Les tendres plaintes nous invite à partager le quotidien de Ruriko, une femme trompée, trahie, violentée par son mari, qui décide un soir de dispute de quitter leur appartement de Tokyo pour se réfugier dans le châlet de son enfance, au beau milieu des bois. Elle aspire au calme et à un retour à la sérénité qui lui permettraient de reprendre sa vie en main.

Elle fait alors la connaissance de ses voisins, Nitta, un facteur de clavecin, et son assistante, la jeune Kaoru. Sans oublier Dona, leur petit chien espiègle et aveugle. Tous les quatre vont se rapprocher au fil des saisons qui animent les bois alentour, véritable tableau vivant. La douceur du printemps laisse sa place à la moiteur de l'été, puis les arbres se parent des belles couleurs automnales en attendant que la neige recouvre de son épais manteau ces paysages qui semblent procurer à ces âmes blessées une paix intérieure tant désirée. Ensemble, ils passent de chaleureuses soirées autour de copieux repas qui semblent ne jamais pouvoir combler l'appétit de la gourmande et pourtant si frêle Kaoru. Les premiers rayons de soleil leur donnent des idées de pique-nique et de canotage, de longues marches dans les bois, propices aux confidences. En toute discrétion, les personnalités se dessinent et s'affirment, se dévoilent tandis que naissent les désirs ; des secrets sont confiés et l'on découvre sans voyeurisme ce que chacun est venu oublier ou guérir dans cette vaste forêt, qui offre un cadre de vie solitaire mais surtout privilégiée, hors du temps, qui obéit à ses propres règles, celles de la nature et de l'âme humaine. Ruriko, au cours de cette année, reconstruit peu à peu sa vie de femme ; beaucoup de grands bouleversements la conduisent à remettre en ordre les pièces de son destin.

Les tendres plaintes prend alors les teintes d'un subtil portrait féminin, plein d'optimisme et d'espoir, très inspirant.

Tout comme Ruriko, nous ne pouvons qu'être fasciné par le métier de Nitta et Kaoru. Les clavecins qui naissent de leur savoir-faire, les sonorités qui en jaillissent font partie intégrante du récit. Et c'est ainsi que Les tendres plaintes a su me séduire et m'envoûter.

Je suis très sensible aux romans mettant en scène l'art, qu'il s'agisse de peinture, de danse, de musique,... Je prends beaucoup de plaisir à lire les romans de Nancy Huston (claveciniste, elle aussi) qui mêlent réalité quotidienne et dimension artistique, tels que La Virevolte ou Prodige (j'ai d'ailleurs très envie de lire ses Variations Goldberg à présent), et mon récent enthousiasme pour la littérature indienne m'a permis de découvrir la plume musicale d'Amit Chaudhuri qui agit sur moi comme un baume apaisant. Yoko Ogawa nous plonge dans un monde de sensations et de sonorités qui forment un nouveau langage pour dire ce que ne peuvent transmettre les mots. La musique est ce qui lie les personnages de ce roman et il est important de noter que Ruriko exerce le métier de calligraphe : les lettres, par leur forme, sont son refuge, telles les notes de musique pour le claveciniste. Les soirées qu'ils partagent bien amicalement se terminent souvent au son de quelques morceaux joués par Kaoru et c'est alors la musique qui va révéler les sentiments, qui va pallier les difficultés des êtres à dire ce que dissimulent leurs coeurs indécis.

Ce retour vers la littérature de Yoko Ogawa m'a donc offert un moment infiniment précieux grâce à ce roman sur lequel règnent la puissance de la nature et le pouvoir d'un autre langage, la musique, deux refuges vers lesquels nous pouvons nous tourner lorsque nos vies nous dépassent.

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Commentaires
P
A chaque fois que tu nous parles de Yoko Ogawa, je me dis qu'il faudrait que je découvre ses autres livres, tant j'avais aimé "La Marche de Mina" ! <br /> <br /> Ces "Tendres plaintes" me semble une lecture bien douce, à l'ombre d'un parasol ou sous un doux soleil d'été ... (Je m'y projette déjà ;))<br /> <br /> Gros bisous et merci pour cette découverte ma belle !
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