Une Faiblesse de Carlotta Delmont, de Fanny Chiarello
Bonjour mes chers lecteurs-lecteurs :)
Petit billet-littérature en cette nouvelle journée de juillet. C'est que j'ai un retard monstre dans mes chroniques et toute une pile de livres à lire : il faudrait peut-être que je me secoue un peu ! J'admire tellement mes copinautes qui parviennent à enchaîner lecture, rédaction de billet et publication : quel est votre secret ?!
La première fois que j'ai croisé ce roman, c'était sur le blog d'Emjy à travers un billet qui me laissait entendre que ce livre, en plus d'être une curiosité formelle, avait tout pour me plaire, époque, intrigue, personnage. En effet, Une Faiblesse de Carlotta Delmont met en scène une cantatrice américaine, venue à Paris pour y interpréter la Norma, au printemps 1927. Vous devez commencer à connaître ma passion pour les années 20, je suis également friande de grands spectacles, dont les opéras, évidemment (voilà pourquoi, entre autre, je sais que je m'entendrais à merveille avec Allmen ^^). Lorsque l'ouvrage s'est offert à moi sur les rayonnages de ma bibliothèque, en dépit d'une PAL indécente, je n'ai pu résister et je m'en félicite car Une Faiblesse... est indéniablement un roman à découvrir, tout comme l'auteure, Fanny Chiarello, une plume suivre.
Carlotta Delmont offre donc à son public ce qu'il est venu chercher et la première à l'opéra Garnier est un véritable triomphe. Aussi, sa disparition au lendemain de cette magnifique soirée soulève de vives interrogations : fugue, suicide, enlèvement, Carlotta s'étant évaporée sans laisser de traces, toutes les possibilités sont envisagées par ses proches, son public, la police et surtout la presse qui n'hésite pas à faire de cette affaire ses choux gras.
La cantatrice réapparaît deux semaines plus tard (nous le savons dès le commencement) mais au cours de cette absence, révélations et rumeurs ont mis à mal sa réputation, tandis que son public tout comme son compagnon et les professionnels (de la profession) n'ont pas apprécié ce caprice inexpliqué. De manière paradoxale, alors que Carlotta a passé la plus grande partie de sa vie exposée aux regards, sans aucune intimité possible, sa disparition a permis d'éclairer des zones d'ombre qui déplaisent, agacent, révoltent,...
Elle court, elle court, la rumeur... Elle se délite la réputation. Faiblesse de l'une et méchanceté des autres, cruauté du monde artistique et perversité de la presse. Le flanc offert d'une proie qui reprend son souffle attire la meute des curieux comme l'odeur de la mort les charognards.
Au fil des pages, se dessine la silhouette de Carlotta puis se précisent les raisons de sa "faiblesse". Artiste adulée, femme aimée, on découvre une personnalité exaltée et passionnée mais aussi fragile et, finalement, très sensée, qui a dédié toute sa jeune existence à son art et souhaite juste respirer, être une autre, peut-être, pour un temps ? Pour toujours ? Une autre vie que la sienne pour mieux apprécier son destin hors du commun.
"-Crois-tu qu'un individu équilibré disparaît quand il a besoin d'air ?
-Je n'avais pas d'autre choix. Je répète le jour et je chante le soir, mon calendrier ne prévoit aucun répit jusqu'en 1928. Quelle place reste-t-il pour moi dans cette vie ? Pour mes besoins ?"
Si l'auteure nous livre un somptueux portrait de femme, au coeur des années folles, son héroïne n'en reste pas moins complexe voire insaisissable. Et c'est alors que la virtuosité et la malice de Fanny Chiarello se révèlent et se mettent au service de son oeuvre à laquelle elle choisit de donner une forme, sinon parfaite (hommage à Valéry), mais multiple, comme semble l'être Carlotta.
Se succèdent articles de presse, rapports de police, témoignages, extraits de journaux intimes, nombreuses lettres,... Tandis que la dernière partie du récit n'est autre chose qu'une pièce de théâtre, inspirée de la fugue de Carlotta, de cette impardonnable faiblesse. Une structure narrative étonnante et incroyablement séduisante qui donne au texte non pas tout son intérêt -celui-ci réside un peu partout : personnages (les personnages dits "secondaires" sont tout aussi finement croqués que l'héroïne, particulièrement Ida, sa fidèle dame de compagnie), ambiance, style,...- mais toute son originalité et suscite -à l'instar de ces artistes protéiformes, de Diderot à David Lynch en passant par Unica Zürn, tout devient or entre leurs mains- une incontestable admiration.
Un autre extrait qui vous fera, je l'espère, goûter la saveur du style si élégant, fluide et poétique de l'auteure. Pour ma part, celui-ci m'a séduite comme rarement, je me délectais de chaque mot, relisais certains passages comme de courts poèmes, me répétais quelques phrases harmonieuses, parfaitement en accord avec l'un des sujets du roman, la musique :
"Ida et moi avons pris notre petit déjeuner ensemble dans ma cabine, mais quelle atmosphère de fête l'emplissait cette fois (...). Le thé, les oranges pressées, les oeufs au bacon, les pancakes et le sirop d'érable étaient divins, nous ne savions dans quel ordre les manger pour mieux savourer leur harmonie. (...). Le premier repas du jours est le plus fascinant, tant il varie d'un pays à l'autre, d'un matin à l'autre, au gré des lumières et des musiques, selon que l'on a bien dormi ou que des cauchemars nous ont réveillés (...). Il est le dernier refuge de l'intimité avant les heures si rapides qui nous plongent dans la mêlée humaine sous la lumière crue du grand jour, il est le dernier répit, la profonde inspiration précédant l'immersion."
Une oeuvre rare au lyrisme enchanteur, qui vous fera vibrer entre Paris, Milan et New-York, en compagnie d'une héroïne inoubliable.