Vallotton souffle le chaud et le froid sur le Grand Palais
Bonjour, bonjour !
Cela fait un bout de temps que je ne vous ai pas fait partager une de mes agréables balades muséales et, de ce fait, j'ai accumulé un léger retard. Alors que je ne vous ai pas encore parlé des expositions Masculin/ Masculin à Orsay, Le Printemps de la Renaissance au Louvre et La Renaissance et le rêve au Luxembourg (visitées il y a plusieurs semaine et qui m'ont toutes les trois beaucoup plu, voire passionnée), je suis très impatiente d'évoquer sur ces pages la rétrospective que le Grand Palais consacre à Felix Vallotton qui fut pour moi un grand moment de bonheur artistico-culturel, une révélation, que j'ai eu le plaisir de savourer mercredi dernier.
Il s'agit d'une exposition aussi riche qu'intéressante et surtout accueillante. En dépit de la foule (de retraités très mal éducationnés), je me suis sentie incroyablement bien au coeur de ce parcours thématique très bien pensé. Contrairement à Braque, dont je ne connaissais ni la vie ni l'oeuvre, j'avais quelques notions et connaissances à propos de Vallotton, son art et son histoire pour avoir croisé certaines de ses toiles à l'occasion d'autres expositions. Ceci étant, cette rétrospective est essentielle pour saisir toute la portée de son oeuvre, sa démarche, sa personnalité.
Et c'est un homme et artiste très complexe (une personnalité qui m'a rappelé Odilon Redon) que j'ai découvert, un peintre de la sensibilité, proposant des toiles apaisantes, usant de couleurs neutres -beaucoup de gris-blanc-, évoquant le calme et la sérénité, simplifiant les formes ou les métamorphosant, donnant alors aux silhouettes en flottaison comme aux paysages, un aspect onirique qui m'a saisie dès les deux premières salles.
Consacrées à l'idéalisme, la pureté de la ligne et aux perspectives aplaties emblématiques de l'oeuvre de Vallotton, elles nous dévoilent des femmes alanguies, nues, à la peau pâle et tout en rondeurs ainsi que des paysages brumeux dans lesquels j'avais envie de me perdre.
Mais la muséographie a tôt fait de nous révéler les nombreux contrastes présents dans le travail de Vallotton tout comme l'ambivalence de son insaisissable personnalité.
En effet, si celui-ci nous offre de magnifiques paysages, on découvre également ses nombreuses scènes d'intérieur révélant quelques drames bourgeois. Aussitôt, je me suis retrouvée au coeur de l'oeuvre zolienne et de la Comédie Humaine balzacienne. Une très belle coïncidence puisque je dévorais depuis la veille un extraordinaire roman, intitulé Belle Epoque et inspiré de la nouvelle Les Repoussoirs, signée Zola, qui figure parmi mes auteurs favoris, aux côtés de Flaubert, Balzac et Proust. Dans les toiles de Vallotton, aux titres évocateurs -qui ne sont d'ailleurs pas sans rappeler les titres des romans zoliens et balzaciens (Le Mensonge, Le Triomphe, L'argent, Le Provincial, La Chaste Suzanne), l'incandescence des couleurs, le rouge des murs, le feu dans la cheminée, tous les éléments du décor sont liés aux sentiments des personnages représentés. Ils nous disent l'intensité des sentiments et des passions, illustrent la tromperie, la séduction, l'ambition, et nous donnent particulièrement envie de décrypter les toiles, de les observer telles des énigmes, des rebus à résoudre, des scènes de crime, bien souvent passionnels.
Pour peindre ses toiles, d'extérieur comme d'intimité, on apprend que Vallotton utilise la photographie, art dont il inaugure la pratique en 1899, lors d'un été à Etretat. On peut alors voir exposé son appareil Kodak et constater l'importance de ce medium dans son processus créatif puisqu'il participe, notamment, à l'esthétique des l'aplat, chère aux Nabis. Son regard photographique est célébré à travers un dialogue entre ses photographies et les toiles qu'elles lui ont inspirées.
Vallotton est donc un peintre de la vie moderne, parisienne, urbaine ; il aime représenter les foules, des individus-types qui incarnent l'hypocrisie des moeurs, à travers ses toiles et photographie mais aussi ses nombreuses xylographies intitulées La Modiste, Le Bon Marché, La charge, Le poker,... Vous comprenez pourquoi Zola ne me semblait jamais bien loin ! Je ne fus d'ailleurs pas étonnée de découvrir un portrait de l'auteur mais également de Thadée Natanson, le fondateur de la Revue Blanche et l'époux de Misia, grande dame de la Belle Epoque, ayant beaucoup fait pour les artistes, dont je vous avais parlé à l'occasion de l'excellente pièce de théâtre La Vénus au phacochère, avec Alexandra Lamy.
Les femmes sont omniprésentes chez Vallotton et portent en elles toute l'ambiguité de l'oeuvre et de l'âme de l'artiste qui met un point d'honneur à mettre au jour les vices enfouis. A ses yeux, la femme semble une créature autant adulée qu'haïe. Elle apparaît tentatrice, coquette, lascive, sensuelle, tandis que l'homme est sa naïve victime. Aussi, l'admirable netteté du trait constatée dès la première salle peut être envisagée comme un détour dont use l'artiste pour mettre de la distance entre lui, son modèle et son attirance pour la beauté féminine : ces fameux contours tranchants sont des corsets pour ces corps tentateurs, destinés à entraver les passions.
De nombreux contrastes dans l'oeuvre de Vallotton qui nous permettent de saisir la pertinence du sous-titre donné à cet événement : Le feu sous la glace (pour Odilon Redon, le Grand Palais avait proposé De l'ombre à la lumière, si je me souviens bien). En effet, la surprise, la dissimulation, le mystère, la dualité,... jalonnent toutes ces représentations. Aux gammes chromatiques chaleureuses succède une ambiance brumeuse, l'opacité côtoie la transparence, la matité la brillance, la disponibilité la pudeur (la femme s'offre et se soustrait au regard dans un même mouvement), les angles et les rondeurs s'observent et se répondent tandis que cohabitent, s'enrichissent tradition et modernité.
Aussi, en fin de parcours, nous découvrons de très grands formats représentant des scènes dans lesquelles l'artiste détourne les grandes thématiques mythologiques pour mieux témoigner de la société moderne. Il adapte le mythe au contexte contemporain. Dans une semblable démarche (semblable, selon moi, j'entends), il met sur un même plan guerre des sexes et Grande Guerre. Farouchement opposés à l'avènement du féminisme, écrivains et peintres donnent à voir la femme sous des traits monstrueux. Et Vallotton, nous l'avons vu, n'est pas le dernier ! Trop âgé pour s'engager, il se rend néanmoins sur le front en tant que missionnaire artistique aux armées. Il rend alors compte dans ses toiles de la vie dans les tranchées, de la souffrance, des combats.
Paysages de ruines, incendies, hommes poignardés, dévorés, dépecés par les femmes ou les combats, corps non plus sensuels mais décharnés, moribonds évoquent un monde enténébré.
J'ai été profondément bouleversée par ces oeuvres qui viennent clore l'exposition. Autant, je me suis sentie incroyablement bien, flottante, rêveuse, sereine tout au long du parcours, cette chute m'a violentée et mise très mal à l'aise. C'est dire la puissance de l'oeuvre de Vallotton, son inestimable talent, sa propension à nous surprendre. Ce sentiment inattendu témoigne également de la pertinence de la muséographie qui, alors qu'on pense être en possession de toutes les clés de l'oeuvre de l'artiste exposé, parvient à nous déstabiliser, nous obligeant à repenser, estimer à nouveau toutes les connaissances récemment acquises. Rien n'est plus plaisant, plus stimulant que cette invitation à se replonger dans une oeuvre d'une vertigineuse profondeur.
Le Grand Palais n'en finit plus de nous éblouir en cette première partie de saison. Et sachant que m'attendent encore les expositions Depardon et Cartier, je me frotte les mains ! Et si je vous dis, qu'en prime, les oeuvre de Robert Mapplethorpe (artiste que j'aime passionnément) seront exposées en 2014, je vous laisse imaginer mon impatience !
J'espère avoir convenablement rendu grâce à la beauté de cette exposition et fait honneur au plaisir qu'elle m'a donné ; j'espère surtout qu'à travers mes quelques mots, les personnes ne pouvant se déplacer jusqu'au Grand Palais auront pu (re)découvrir Félix Vallotton. C'est tellement important de partager toutes ces belles émotions.
Très bonne journée mes Chers, et à bien vite pour une nouvelle promenade muséale :)