Le Siècle d'or de l'éventail, de Louis XIV à Marie-Antoinette, au musée Cognacq-Jay

Bonjour, bonjour !

La semaine dernière, j'ai saisi l'occasion d'une alléchante exposition pour m'offrir un petit moment privilégié au coeur d'un des plus beaux musées parisiens. Il n'est ni le plus grand, ni le plus luxueux mais sans aucun doute le plus intimiste et surtout celui où on est le mieux reçu. Le musée Cognacq-Jay -qui se trouve juste entre la rue des Rosiers et la place des Vosges- est installé dans l'hôtel de Donon et abrite la très belle collection d'art du XVIIIème siècle du couple formé par Marie-Louise Jay et Ernest Cognacq, fondateur de la Samaritaine. Et oui ! Rassemblant des oeuvres de Fragonard, Vigée-Lebrun, Canaletto, Watteau, Rembrandt,... cette collection permanente est exposée dans de sublimes salles, de boiseries et d'or vêtues, où l'on peut admirer mobilier et accessoires d'époque, qui nous donne une idée du raffinement qui caractérise si bien le Siècle des Lumières. Vous l'aurez compris, il s'agit d'un musée-écrin au même titre que Jacquemart-André que nous avons visité ensemble il y a peu, mais en bien plus abordable (à tout point de vue...).

Parallèlement à l'exposition permanente, le musée organise régulièrement des expositions temporaires. Celle qui se tient en ce moment -et jusqu'au 2 mars- est un parfait événement pour faire de cette visite un double-bonheur.

En effet, en nous faisant parcourir le Siècle d'or de l'éventail, le musée nous invite à entrer dans une ronde éblouissante. Accessoire aussi familier que méconnu, il peut nous sembler bien désuet et surtout bien anodin ("accessoire" justement) pour se faire l'objet d'un événement culturel autant qu'historique. Et pourtant, en suivant les évolutions qu'a connues l'éventail, on en apprend énormément sur la société mais aussi les grands événements politiques. En outre, on découvre un métier, celui d'éventailliste, qui nécessite un savoir-faire et une inventivité remarquables. Aussi, si on pénètre dans le musée en réduisant l'éventail à un accessoire féminin, on en ressort avec une tout autre image en tête, celle d'oeuvre d'art.

Adopté en France sous le règne de Louis XIV, l'éventail importé d'Asie à la Renaissance, permet la création d'une toute nouvelle corporation, celle des éventaillistes, en 1676. Ces peintres d'éventail se font témoins de la société en reproduisant des scènes de la vie parisienne, de petits tableaux pareils à des instantanés photographiques. Ils reproduisent notamment le Pont Neuf et son panorama qui offre une vue imprenable sur Paris, le Louvre et l'horizon ; les marchés -aux fleurs, au pain, à la volaille,...- en pleine agitation, ainsi que les baigneurs en bord de Seine, ou encore les promeneurs des Tuileries ou les ateliers d'artisans offrent maints détails et anecdotes qui enrichissent ces tranches de vie urbaine.

Les éventaillistes nous convient au coeur de la ville, en compagnie du peuple de Paris dont ils nous font découvrir un certain quotidien. Mais ils témoignent également des grandes heures du Royaume, reproduisant les grands événements qui font l'Histoire de France : victoires militaires, mariages et naissances princiers,... Présentation du Dauphin ou encore Le déjeuner de la famille royale sont alors des thèmes qui inspirent les artistes. On peut même observer un projet de feuille d'éventail, intitulé La Campagne de Flandres" annoté de la main de Louis XIV. Précieux, précieux !

Autre source d'inspiration, l'exotisme des pays lointains -Chine, Russie,...- qui donne à voir un Orient fantasmé, rêvé, un Orient digne des Mille et une nuits. 

Accessoire indispensable aux plus coquettes, l'éventail révèle un peu de l'intimité et de la personnalité de ces dernières, dont les goûts et exigences évoluent au fil des caprices de la mode. Une évolution à laquelle s'adaptent les thèmes des compositions. Aussi, aux grandes figures mythologiques et épisodes de l'histoire antique succèdent les scènes galantes qui mettent en scène bergers et bergères dans une nature paradisiaque et fantasmée ainsi qu'une évocation idéalisée du travail de la terre. La brouette devient le symbole du retour à la nature, cher aux Lumières, et ornée de paillettes dorées, elle est elle aussi sublimée. Il est tout à fait possible que plusieurs thèmes voisinent sur un même éventail, la face offrant au regard une scène mythologique, le revers un hommage à une grande oeuvre théâtrale.

Influencés par l'art, la littérature, le théâtre, les éventaillistes fréquentent artistes et artisans avec qui ils échangent dessins et idées.

Enfin, les peintres d'éventail s'emparent des événements remarquables, suivent l'actualité et rendent compte des progrès techniques et des grandes inventions du siècle, comme l'envol du premier aérostat à gaz, en décembre 1783. A cette occasion, ils reproduisent l'ascension du ballon ainsi que la foule des Parisiens ébahis.

Si la forme semi-circulaire peut-être une contrainte à la composition, cela n'empêche en rien les éventaillistes de faire de cet accessoire un magnifique objet d'art, accordant tout autant d'importance à la toile qu'à sa monture. Cette dernière, en nacre, en argent, en écaille blonde peut être ornée de pierres précieuses, de pierres de lune ou encore incrustée d'or. Lorsque les brins sont endommagés, la toile est récupérée et cette feuille d'éventail dite "mise en rectangle" devient un tableau ! Il est vrai que certaines sont de véritables merveilles, elles-mêmes ornées de précieux matériaux. Les vêtements des personnages peuvent être de soie, des formes sont découpées dans des papiers métalliques tandis que le mica, un minéral donnant l'illusion du verre, remplace fenêtres et miroirs, donnant alors encore plus d'intensité, de densité à d'intimes scènes d'intérieur. Détails raffinés enrichissent feuilles et montures. Mais l'éventail fait aussi appel à l'ingénuosité de ces créateurs qui y logent d'astucieux et malicieux ajouts : loupes, lorgnettes, thermomètres, tubes à parfum mais aussi petits poussoirs permettant d'animer les images, de dévoiler quelques scènes érotiques et coquines.

Tableau portatif que l'on exhibe dans le grand monde, l'éventail est également un objet des plus intimes. Alliant matériaux précieux et décors raffinés, il est un accessoire de mode autant qu'une oeuvre d'art mais avant tout un précieux témoin de la richesse d'une époque, qui a fait de Paris la capitale de l'éventail pendant plus d'un siècle.

Cette exposition à laquelle on ne prêterait pas forcément attention, noyée parmi les multiples propositions des grands musées parisiens, s'est révélée des plus agréables et intéressantes. En parfaite harmonie avec mes lectures du moment -Les Colombes du Roi-Soleil, Les Orangers de Versailles, Opération Marie-Antoinette,...- ce voyage dans le temps a su combler ma constante recherche d'élégance ainsi que mon vif intérêt pour l'Histoire de France, tout en m'offrant la possibilité de découvrir un métier dont je ne soupçonnais pas la richesse ni l'importance. 

A quelques pas du musée Cognacq-Jay se trouve le musée Carnavalet dont l'exposition permanente est consacrée à l'histoire de Paris. De quoi passer un très bel après-midi dans ce superbe quartier du Marais qui regorge, en prime, de bonnes et gourmandes adresses (salons de thé, chocolatiers, macaronneries,...) et de galeries d'art.

A tout vite, mes Chers, pour une nouvelle balade muséale parisienne :)

Comments

[summerday]

Je suis passée à côté de cette expo, quel dommage. Je me suis rattrapée avec ta visite virtuelle! Récemment j'avais quelques heures un lundi matin à Paris alors j'ai vu l'expo Brassaï à l'hôtel de ville qui m'a relativement déçue. Heureusement j'ai poursuivi par la visite de celle consacrée à l'art déco à la cité de l'architecture et j'ai été subjuguée. Je ne sais pas si tu l'as vue mais c'est une vraie somme sur l'époque et le style art déco, on se régale.

[Em_ma]

Les mots que tu as choisis sont parfaits pour évoquer tous les charmes de ces petits objets. J'ai beaucoup appris au cours de cette exposition, notamment qu'ils étaient de véritables témoins de notre histoire, ce qui les rend encore plus précieux.

[FondantOchocolat]

Quelles merveilles !! J'ai toujours aimé ces objets d'un autre temps... Synonymes d'élégance, de féminité et de mystère :-).

[Em_ma]

Je suis très heureuse que cette exposition -même visitée à distance- t'ait séduite, ma chère Jeanne :) Comment résister à tout ce raffinement, en effet. Et l'appel du lit à baldaquin est forcément irrésistible, je confirme !

[Château]

Je pousserais volontiers la même exclamation que Marielle! Quel thème charmant pour une exposition que l'éventail! Et à l'époque de Watteau, je me doute que ces éventails ne pouvaient être que du plus grand raffinement - tes photos et tout ton billet le prouvent d'ailleurs.



Voilà une exposition que j'aimerais bien voir venir jusqu'aux musées de ma ville...



Bon, là j'ai envie de me coucher dans un lit à baldaquin, en plus... en m'éventant, bien sûr.